mardi 27 avril 2010

LES CAURIS DE DONGO

Tandis que son armée perdait du terrain, et sous la pression des assiégeants refluait pas à pas vers les portes de Timbouktou, Moktar quitta un moment le combat pour consulter les devins et féticheurs.

Tous lui dirent qu’il était le seul capable de donner la victoire à sa ville, et lui conseillèrent de demander à sa mère la reine, et aux autres femmes, d’implorer les dieux et déesses et de leur faire des offrandes pour obtenir leurs faveurs.

Avant de retourner au combat, Moktar voulut revoir sa femme et son fils. Mais l’enfant, le voyant arriver avec ses armes et son bouclier, le visage et le corps maculés de sang et de poussière rouge, ne reconnut pas son père et se mit à pleurer.

_ Ne vis-tu donc que pour la guerre, demanda la femme ? Que deviendrons-nous si tu meurs ?

_ Et que deviendra mon honneur, si je fuis le combat en abandonnant mes guerriers ?

Moktar avait pris son fils dans ses bras. Il le rendit à sa femme en disant :

_ Mon heure n’a pas sonné. Nul ne saurait m’envoyer dans l’autre monde avant que les dieux en aient décidé.

Tandis que Moktar retournait au combat, Dongo s’envolait de Hombori dans un nuage autour duquel tournoyaient ses vautours. Il voulait assister de près à la bataille.
Le roi des dieux avait dans chaque main une poignée de cauris. De la main gauche, il jeta les coquillages décidant du sort d’Ag’Menna et de son armée, et de la droite ceux qui fixeraient le sort de Moktar et de Timbouktou. Dongo n’oubliait pas la promesse faite à la mère d’Ag’Illies. Alors, il fit rouler le tonnerre et crépiter l’éclair ce qui, en pleine saison sèche, sema la terreur parmi les guerriers d’Ag’Menna, et redonna courage à ceux de Moktar.

Le cours de la bataille s’inversa, et les assiégeants furent bousculés. Ag’Menna et Idriss le rusé battaient en retraite. Les deux vaillants Camara aussi. Coulibaly le sage, roi de Ségou, jeté à bas de son cheval, fut sur le point d’être tué par Fari. Déjà Moktar, à la tête de ses meilleurs guerriers était sur le point de pénétrer dans la zériba, prêt à détruire le camp et incendier toutes les pirogues. La panique s’emparait de ses ennemis.

La nuit les sauva de la déroute, car le prudent Moktar retint ses troupes. Les guerriers de Timbouktou abandonnèrent la poursuite, réservant leurs forces pour l’assaut du matin. Moktar fit allumer de grands feux dans la plaine, et tuer de nombreuses bêtes pour un grand méchoui. La lueur des flammes dansait jusqu’aux murs de la cité, et le vent léger de la nuit apportait les rumeurs des chants de victoire jusqu’aux oreilles d’Ag’Menna, d’El’Issa et de leurs alliés terrifiés.

Ag’Menna faisait les cent pas sous sa tente, comprenant que Dongo lui avait menti dans son rêve. Il était prêt à abandonner le siège. Coulibaly et les autres rois l’en dissuadèrent :

_ Ô, roi des rois, tu dois te réconcilier avec Ag’Illies pour retrouver la faveur de Dongo.
Ag’Menna reconnut qu’il avait eu tort de blesser Ag’Illies et accepta l’idée de Coulibaly. Ce dernier chargea Idriss et Camara le grand de rendre visite au vaillant Ag’Illies, et de lui porter les présents qu’Ag’Menna lui offrait en témoignage de sa volonté de réconciliation.

En plus de la captive qu’il avait fait enlever chez Ag’Illies, il fit chercher plusieurs bourses de cuir à franges, remplies de poudre d’or de Siguiri, et des lames d’acier forgées dans de lointains pays nordiques, rapportées par les caravanes à travers le Sahara. Il fit chercher de précieuses plaques de sel des mines de Taoudenni, du thé de la meilleure qualité, des pains de sucre, des dattes fondantes, des œufs d’autruches remplis de beurre fondu, et de précieuses étoffes teintes à l’indigo.

Idriss et Camara se rendirent sous la tente d’Ag’Illies, qui les reçut en présence de son ami Ag’Trokel et leur fit servir le thé. Allongés sur des nattes, les rois se saluèrent longuement, car leur amitié était ancienne. Enfin, Idriss en vint à son affaire :

_ Ô Ag’Illies, vois les feux de nos ennemis, si proches de notre zériba. Entends leurs cris de victoire. Nous sommes en grand danger. Ag’Menna reconnaît ses torts, et t’envoie ces présents. Il te fait rendre ta captive préférée. Nous tous, demandons à l’amenokal Ag’Illies et à ses Ioullemirmiden de nous rejoindre pour défaire nos ennemis. Oublie ta colère, bouillant Ag’Illies.

_ Ô Idriss, mon ami, je suis venu ici, assiéger Timbouktou avec vous, pour laver l’honneur d’El’Issa et de son allié Ag’Menna. Je voulais mourir jeune et couvert de gloire, plutôt que vieux et oublié. Depuis neuf ans, nous luttons en vain, et trop de guerriers sont partis dans l’autre monde. El’Issa n’est pas le seul à aimer sa femme. Mais ce sont les autres qui meurent pour lui. Ag’Menna est cupide et sans honneur, je le hais, et je ne ferai rien pour l’aider. Reprenez vos pirogues et rentrez chez vous, allez retrouver vos épouses, car Dongo protège Timbouktou et vous ne vaincrez jamais.

Idriss et Camara se retirèrent, pour porter cette réponse au roi des rois.

_ Qu’importe, dit Ag’Menna, laissons le partir s’il le veut, et préparons nous à combattre héroïquement dès le lever du soleil.

Idriss, le rusé bambara, avait toujours un proverbe pour la situation : « Boli kèlè la tè cèfarinya sa, kòfilèbaliya de ka jugu » : « Fuir n’est pas lâche, quand on sait revenir au combat. »

Antoine Barral

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Ce blog vous présente mon prochain livre, à paraître aux éditions Grandvaux en mars 2011.

http://editionsgrandvaux.free.fr/

Il s'agit d'une transposition de L'Iliade en Afrique de l'ouest dans la boucle du fleuve Niger.

http://www.decitre.fr/livres/L-illiade-d-Houmarou.aspx/9782909550718

Suivra l'Odyssée, adaptée par Marie Laure de Noray.



Une adaptation pour la scène est prévue à Montpellier avec le conteur Irénée Domboué dans le rôle d'Houmarou le griot.

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